Un destin brisé...?

Dominant une sombre crevasse des terres dévastées du Nord, près de Brill, le paladin fixait sombrement la pile de cadavres réprouvés devant lui.

Sa masse sur l’épaule, son écu de facture naine solidement sanglé à son bras gauche, il n’éprouva aucun sentiment de satisfaction. Pourtant la résistance des deux fois nés du petit hameau avait été rude. Elle lui avait coûtée deux cicatrices de plus dans le cou, la où son gorgerin ne le protégeait plus à cause d’un coup de hache paré de justesse.
« Tant… il en reste encore tant… je le ferai moi-même si personne n’est capable de m’aider la dedans ! Par la Lumière ! Tous des traîtres et des lâches ! »
L’ombre qui le tenaillait lui vrilla l esprit de douleur un court instant, avant de disparaître. Il avait l’habitude… A vrai dire il ne s’en plaignait plus… Il avait besoin d’aide et de puissance, et il savait maintenant où en trouver.
Cinq années gaspillées à entraîner des soldats, à faire naître puis entretenir l’espoir, à inculquer des valeurs et des préceptes… Tous ça pour quoi ? Etre trahis… Par tous, à commencer par les plus proches !

« Les mentalités changent » répétait il inlassablement, comme pour se convaincre que c’était bien vrai. « Le peuple ne crois plus en la Lumière, il a perdu la Foi. Les paladins et les prêtres ne respectent plus rien, et le peuple en vient même à insulter ses représentant religieux quand ceux cis traquent le mal dans leurs rangs ! »Il se souvint amèrement des insultes et pierres reçues lorsqu’il traquait des criminels reconnus, abasourdit par l’ignorance des concitoyens, allant même jusqu’à le traiter de fanatique et de criminel, assoiffé de vengeance et de pouvoir.

Tant de sacrifices… Lui qui avait voué sa vie à autrui, à protéger les innocent. Lui qui n’avait jamais trahi, sacrifiant sa propre vie pour protéger ses hommes et son peuple. Tout ça pourquoi ?

Une goutte de pluie tomba sur son visage, à la barbe naissante. Le ciel s’assombrissait et l’orage menaçait. De sombres bruits de goules commençaient à jaillir de quelques buissons rescapés des alentours.

Les ignorant il repensa à ses proches… Les rédempteurs, asa… Asa…

Récemment, la parcelle d’ombre de son ancien ennemi, Fidweten, l’avait changé. Il avait lutté jour et nuit contre elle, acceptant de bonne grâce ce mal pour le salut de l’ancien Ecarlate, mais sans aide ni soutient, la lutte était perdue d’avance, il s’en rendait compte maintenant !
Tout avait joué contre, tout avait participé à sa perte… Les luttes intestines, les menaces de mort, les accusations contre l’Ordre, le manque de confiance qu on lui avait témoigné (des hommes qu’il avait sauvés et formés lui-même !). Pire encore, des proches conseillers, des frères d’armes n’avaient pas hésiter à se défiler et à tout abandonner à la moindre difficulté, le laissant seul et démunit, tout géré comme souvent.
Mais derrière la carapace inébranlable se cache un cœur… Un cœur, autrefois pur et fragile, gorgé d’idéaux et de principes chevaleresques. Une joie de vivre et un optimisme qu’il croyait à tout épreuve, gonflant ses suivants d’un courage et d’une dévotion sans borne, eux qui disaient jadis, vouloir le suivre jusqu’à la mort !

Et voici où il en était… Seul, dans le noir et le froid hivernal. Il crut voir les torches d’une patrouille écarlate sur un sentier au loin et se recula prudemment dans un recoin rocheux. Ici le danger était partout. Son esprit se vidait, se libérait quand il combattait. Plus de souci, plus de responsabilité, juste le sentiment de survie oblitérant tous les autres sur son passage ! Un brusque retour aux origines, la bête prenant le pas sur l’homme.

Le jappement aigue d’un pauvre chien retentit. La bête décharnée venait de se faire attraper par une sombre plante nécrotique, qui lui brisa les os d’un coup sec avec ses feuilles dentelées, suçant avidement la moelle de ses os.
Il profita de sa cachette pour retirer son lourd plastron et ses spalliéres pour soigner ses blessures. La douce énergie qu’il invoqua se répandit dans son corps et le réchauffa, refermant aux trois quart les plaies. La Lumière était encore vive chez lui, mais son énergie déclinait. Pensant son torse musclé d’une étoffe de soie propre, il repensa à sa douce, celle pour qui il aurait donné sa vie jadis… Et la colère le gagna.
Asa… son elfe, celle qui disait vouloir mourir pour lui… et celle qui lui en avait tant fait voir et gâcher ses rêves ! Par amour elle voulut empêcher sa guerre, elle voulu le trahir, risquer sa vie même à Fossoyeuse pour lui… Mais elle n’a jamais compris que Lordaeron était sa raison de vivre, sa raison d’être. Son destin était d’y retourner... mort ou vif.
Elle poussa même le vice de rejoindre ses ennemis, les Messagers, choisissant son côté pour de bon. Blessé plus qu’il n’aurait voulu l’admettre, il tenta de tout oublier une ultime nuit dans ses bras, voulant la croire. Mais là un de ses plus proches amis vint lui conter d’horribles choses sur sa belle.
Celle-ci clôtura le tableau quand elle voulu se donner la mort, pour tuer un dangereux individu qui en voulait à la vie du paladin. Loin de les rapprocher, cet acte irraisonné sonna le glas de leur aventure.

Mais Erthran tentait de résister, encore et toujours... L’Ombre le gagnait, l’amour et la droiture le quittaient. Il tenta de se voiler la face en intégrant la caste religieuse de l’ordre, mais ce n’était qu’illusion, et elle se dissipa rapidement. D’autres pressions et reproches ne tardèrent pas à pleuvoir sur ses épaules, devenus décidément bien frêles. Nilawia elle-même ne lui faisait plus confiance, elle le croyait fou, manipulateur… Elle qu’il chérissait comme sa propre fille qu’il n’a jamais eu… Il avait certes tenté de s’approprier l’épée mais pour le bien de tous… avec ça, fini les guerres et les morts !
Alors il explosa… Le dernier bastion de raison céda dans son esprit et il quitta Hurlevent le soir même, déterminé à partir le plus loin et ne jamais en revenir.

« Edonir ou pas, j’accomplirai mon dessein… Seul puisque aucun n’est digne ! O Uther, mon défunt maître, l’héritage de la Main d’Argent n’est plus ! Les gens traitent avec les morts par peur. Tous ont perdu espoir ! Mais pas moi ! Que mon âme brûle dans le Néant distordu mais je ne faillirai point ! Une nouvelle menace surgit d’Outreterre et un nouvel ordre viendra en place… Quoiqu’il en soit j’accomplirai mon destin, je combattrai jusqu’à mon dernier souffle la Légion et ses rejetons, quels qu ils soient ! »

Serrant les poings à s’en faire blanchir les phalanges et à s’entailler les chairs, ils grava en lettre de sang le « L » de Lordaeron sur son torse à l’aide de sa dague, psalmodiant un ultime rituel banni de la Lumière depuis longtemps. Ce dernier s’illumina d’une lueur rouge sang qu’on aurait dit (à juste titre) magique, pulsant au rythme de son cœur.

Se sentant pousser par une quelconque puissance ou dessein supérieure, Erthran arracha d’un geste sa cape d’officier, ses insignes et son tabard, à moitié déchiré par les combats du jour. Il était désormais un « quêteur de mort », un Kayl’Eleth, comme disaient les hauts elfes qu’il, jadis, côtoyait.
Il ne vivrait plus que pour le combat et l’honneur. L’honneur de périr au combat en massacrant le plus d’ennemis possibles. Il avait toujours su que s’attacher à des gens l’affaiblirait, il ne commettrait plus cette erreur. Sans attache ni remord, il vouerait son existence à sa quête futile. Mais peu importe la tâche à accomplir tant que l’on essaie. Chaque sacrifice contribue à changer le monde, lui avait dit son mentor.

Fou… non il ne l’était pas… Juste un homme rongé par la déception et la vengeance, aveuglé par l’Ombre et la puissance, le devoir et le remord.

A des centaines de dimensions plus loin, bien au-delà des royaumes mortels, une gigantesque silhouette regardait. Dans ses yeux flamboyants se lisait une sagesse millénaire, une sagesse témoin de dizaines de créations et destructions de mondes.
Caressant distraitement sa peau cuivrée sous son halo d’or, le Titan Aggramar le Vengeur, hocha la tête. Une auréole de puissance du à son contentement émana de lui et incinéra une galaxie proche au passage.
« Il est prêt »



Le titan avait patiemment placé ses pions. Il s’était juré depuis toujours de vaincre son ancien maître Sargeras, le Titan noir de la Légion. Mais cela passait d'abord par la lutte contre ses serviteurs pour espérer l’affaiblir suffisamment.
Il avait trouvé en ce paladin l’être idéal pour ses desseins. Un être à la fois pur et fort mais entaché d’une sombre rancune et vengeance qui ne demandaient qu’à le submerger. Etonnement robuste pour un mortel, Aggramar, avait du intervenir à plusieurs reprises pour provoquer le déclic. Car il en était sûr maintenant, la puissance n’était ni dans la croyance aveugle en la Lumière, ni en la destruction et la corruption de l’Ombre. Non, la puissance était dans leur fusion ! Et Erthran venait de franchir ce point avec brio, à l’instant même…

Le paladin se leva d’un bond. Il s’était assoupi un court instant avant d’être réveillé par une lueur intense, resplendissant au cœur des ténèbres. Huit jours s’étaient écoulés depuis son départ. Huit longs jours sur ses gardes, transi par le froid hivernal. Il avait passé son temps à traquer les deux fois nés avec un acharnement et une détermination sans faille, inquiétante même. La nuit, éreinté, blessé, il venait se reposer quelques heures dans une petite grotte, près d’un feu. Comme maintenant.
Une arche gigantesque venait d’apparaître à moins d’une demi lieu d’où il se tenait. L’arche, en obsidienne, crépitait de flammes ardentes qui en léchaient les bords. Un soleil implacable régnait de l’ordre côté sur des plaines stériles à perte de vue.

Balayant les mornes plaines du Nord, son nouveau foyer désormais, à la recherche d’éventuelles créatures alertées par cet étrange phénomène, il reporta son attention sur le cercle de feu. Sa rune au niveau du thorax le brûlait. Arrachant sa chemise, il découvrit que sa cicatrice battait à un rythme soutenu, de plus en plus rapide, passant du rouge sang à un jaune éblouissant.
Plus de sensation de froid, plus d’inquiétude. Que lui arrivait il ? Son exil semblait lui avoir apporté des réponses. Pour la première fois depuis des années il se sentait en paix avec lui-même, certain et confiant de ses choix.

D’un pas résolu, torse nu éclairant son chemin, il partit vers le portail béant donnant sur l’autre dimension. L’esprit de Fidweten lui soufflait qu’il s’agissait de Draenor, et qu’il y poursuivrait son destin. Le titan (car il le savait maintenant) en avait fait son arme, et Erthran l’accepta. S’il ne pouvait atteindre le cœur de Fossoyeuse, il taperait au dessus et plus fort : la Légion. Tout y été lié, depuis le début. Le paladin se sentait immortel, plus fort et plus brave, détaché de tous ce qui l’affaiblissait. Plus de femmes, plus d’amis. Plus de peur, plus de sacrifices inutiles.

Traversant le seuil (sans, curieusement, se brûler) il discerna une colonne d’humanoïdes remonter un étroit sentier. Le portail se referma, une main géante en condamnant l’accès.
La plaine était rocailleuse, dépourvue de toute végétation. D’imposants blocs de roches flottaient dans les airs, et leurs silhouettes se découpaient sur d’innombrables éclairs qui s’écrasaient sur ces landes dévastées. De sombres créatures, ressemblant à des dragons de brume, traversaient les airs en silence, comme escortant magiquement la colonne de réfugiés vers une château d’obsidienne, dominant la scène d’une terrasse flottant à près de mille pas de haut. Son seul accès semblait être un long escalier de basalte, lui aussi voguant dans les airs aux grès des caprices du vent.

La magie était particulière ici, mais sa nouvelle condition et sa balafre spontanément tracée (il avait beau essayait de se souvenir, il ne se rappelait pas la raison de ce geste. Une impulsion ?), parvenaient tout de même à contrôler le flux de Lumière… et d’Ombre.
Les réfugiés n’en étaient visiblement pas. Une centaine de guerriers, visiblement vétérants de nombreux conflits, arpentaient l’escalier en silence. Un point commun : un torse mutilé, illuminé de runes diverses mais dont le point commun était indéniablement leur caractère magique et pulsatile. Qu’est ce que ces dizaines d’hommes, elfes, nain ou encore orcs venaient faire ici ? Ils avaient l’air sereins, eux aussi, et terriblement déterminés. Mettant ses questions de côté, sans un regard en arrière, Erthran leur emboîta le pas, tirant un trait sur son passé.

Il suivait sereinement la nouvelle armée d’Aggramar le Titan… les Kayl’Eleth.